Le
5 juin 2009 :
(13:00
Unità Naziunale,
www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte internationale)
Depuis 1986, date où la législation antiterroriste a été instaurée
en France, un empilement de lois successives a construit un système
pénal d’exception qui renoue avec les lois scélérates du xixe siècle
et rappelle les périodes les plus sombres de notre histoire.
L’accusation d’ « association de
malfaiteurs en vue de commettre une infraction terroriste »,
inscrite au Code pénal en 1996, est la clef de voûte du nouveau
régime. Or, ses contours sont particulièrement flous : il suffit de
deux personnes pour constituer un « groupe terroriste » et il suffit
d’un acte préparatoire pour que l’infraction soit caractérisée. Cet
acte préparatoire n’est pas défini dans la loi, il peut s’agir du
simple fait d’entreposer des tracts chez soi. Surtout, n’importe
quel type de relation – même ténue ou lointaine, voire amoureuse ou
amicale – avec l’un des membres constituant le « groupe » suffit
pour être impliqué à son tour. C’est pourquoi, sur dix personnes
incarcérées pour des infractions « en rapport avec le terrorisme »,
neuf le sont sous cette qualification.
De l’aveu même de ses promoteurs, ce
droit spécial répond à un objectif de prévention. À la différence du
droit commun qui incrimine des actes, la pratique antiterroriste se
satisfait d’intentions, voire de simples relations. Suivant le juge
Bruguière, cité par Human Rights Watch, « la particularité de la loi
est qu’elle nous permet de poursuivre des personnes impliquées dans
une activité terroriste sans avoir à établir un lien entre cette
activité et un projet terroriste précis ». C’est dans cette
perspective qu’on a vu la possession de certains livres devenir un
élément à charge, car ils constitueraient des indices sur des
opinions ; et de l’opinion à l’intention, il n’y a qu’un pas.
À ce flou de la loi pénale s’associe
une procédure d’une extrême brutalité. Il suffit que le Parquet
choisisse de manière discrétionnaire d’ouvrir une enquête sur une
qualification terroriste pour que la police reçoive des pouvoirs
d’investigation exorbitants : perquisitions de nuit,
« sonorisation » des domiciles, écoutes téléphoniques et
interception de courriers sur tous supports...
De son côté, le délai de garde à vue
– période qui précède la présentation à un juge – passe de 48 heures
en droit commun à 96 heures, voire 144, dans la procédure
antiterroriste. La personne gardée à vue doit attendre la 72ème
heure pour voir un avocat – l’entretien est limité à 30 minutes et
l’avocat n’a pas eu accès au dossier. A la suite de cette garde à
vue, en attendant un éventuel procès le présumé innocent pourra
passer jusqu’à quatre ans en détention provisoire.
Par ailleurs, la loi centralise à
Paris le traitement des affaires « terroristes », confiées à une
section du Parquet et à une équipe de juges d’instruction
spécialisés qui travaillent en relation étroite avec les services de
renseignement. Des cours d’assises spéciales ont également été
instaurées, où les jurés populaires sont remplacés par des
magistrats professionnels. Un véritable système parallèle est ainsi
mis en place avec juges d’instruction, procureurs, juges des
libertés et de la détention, cours d’assises et bientôt présidents
de cours d’assises, juges d’application des peines, tous estampillés
antiterroristes.
L’application de plus en plus large
des procédures antiterroristes à des affaires d’État montre que
l’antiterrorisme est désormais une technique de gouvernement, un
moyen de contrôle des populations. En outre – et c’est peut-être le
point le plus grave – cette justice exorbitante contamine le droit
commun : la législation antiterroriste a servi de modèle dans
d’autres domaines pour généraliser la notion de « bande organisée »,
étendre les pouvoirs des services d’investigation et centraliser le
traitement de certaines instructions.
La Convention européenne des droits
de l’homme et le Pacte des Nations Unies sur les droits civils et
politiques, tous deux ratifiés par la France, garantissent qu’une
sanction pénale soit fondée sur une incrimination intelligible la
rendant prévisible. En outre, ces textes donnent à chacun le droit
d’organiser équitablement sa défense – ce qui passe par la prompte
intervention d’un avocat ayant accès au dossier. La procédure,
« sœur jumelle de la liberté », doit être contrôlée par un tiers
impartial, ce qui est impossible avec une filière spécialisée
fonctionnant en vase clos, dans une logique de combat idéologique
incompatible avec la sérénité de la justice.
Il est illusoire de demander que ce
régime procédural soit appliqué de façon moins large et moins
brutale : il est précisément conçu pour être appliqué comme il
l’est. C’est pourquoi nous demandons que les lois antiterroristes
soient purement et simplement abrogées et que la France respecte en
la matière la lettre et l’esprit de la Convention européenne des
droits de l’homme et du Pacte des Nations Unies sur les droits
civils et politiques. Nous invitons tous ceux qui se préoccupent des
libertés à se joindre à notre campagne en ce sens.
Le Comité pour
l’abrogation des lois anti-terroristes, CALAS
Giorgio Agamben, Esther Benbassa,
Luc Boltanski, Antoine Comte, Eric Hazan, Gilles Manceron, Karine
Parrot, Carlo Santulli, Agnès Tricoire
Avec les signatures de : Alain
Badiou, philosophe ; Etienne Balibar, philosophe ; Jean-Christophe
Bailly, écrivain ; Daniel Bensaïd, philosophe ; Alima Boumedienne,
sénatrice ; Rony Brauman, ancien président de Médecins Sans
Frontières et enseignant ; Raymond Depardon, photographe et
cinéaste ; Pascale Casanova, critique littéraire ; Jean-Marie Gleize,
poète ; Nicolas Klotz, réalisateur ; François Maspero, écrivain ;
Emmanuelle Perreux, présidente du syndicat de la magistrature ;
Jacques Rancière, philosophe ; Michel Tubiana, président d’honneur
de la Ligue des droits de l’homme ; Slavoj Zizek, philosophe.
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Source photo : Unità Naziunale, Archives du site.
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