Le
28 mai 2009 :
(13:00
Unità Naziunale,
www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte internationale)
Le 18 juin 2009 restera sans doute gravé
comme une des dates importantes de l’histoire moderne des luttes
indiennes en Amérique latine et plus particulièrement au Pérou, pays
aux multiples communautés autochtones, andines comme amazoniennes.
Le prix politique extrêmement
élevé que commençait à payer le gouvernement d’Alan Garcia lui a
fait faire machine arrière, au cours des derniers jours.
D’abord en « suspendant » les
décrets pour une période de 90 jours, puis en promettant d’ouvrir un
nouveau débat avec les chefs des communautés. Puis, lundi 15, le
premier ministre Yehude Simon, en rencontrant les apus (chefs
traditionnels indiens) et en leur annonçant que le gouvernement
allait révoquer les décrets. Puis ce même premier ministre annonçant
sa prochaine démission dès le conflit terminé ont été les étapes de
ce recul.
C’est maintenant chose faite.
L’ampleur des mobilisations
internes au Pérou au delà même de la zone de conflit, les risques
d’escalades dans la confrontation violente (dont les 24 policiers
tués ont démontré l’extraordinaire détermination des indiens),
l’onde de choc provoquée dans les communautés amérindiennes des pays
limitrophes (en particulier l’Equateur mais pas seulement) et la
multiplication des prises de position contraires de la part des
organisations internationales (ONU) ont amené à ce qu’il faut bien
appeler un recul total du gouvernement.
Ce recul est une défaite.
Il n’a pas réussi à mobiliser les “péruviens“ contre
les “autochtones“ coupables de primitivisme et de sauvagerie.
Il n’a pas réussi à
internationaliser la crise malgré les multiples accusations de
sédition organisée par des agents de l’“étranger” et plus
particulièrement l’axe du mal régional qui va de La Paz à Caracas
(et sans doute jusqu’à La Havane).
Il n’a pas réussi à faire croire
que derrière cette mobilisation ample et déterminée de toute une
population se cachaient des « terroristes » et autres subversifs
cherchant à déstabiliser le pays avec l’aide d’ONG européennes…
Il n’a pas réussi à opposer les
“vrais” amazoniens et leur apus (chefs communautaires) aux
organisations de défense qu’ils se sont donné : peine perdue, le
gouvernement a dû céder devant les “vrais“ représentants des
communautés !
Aujourd’hui vendredi 19 juin, les
principales organisations à l’origine de la mobilisation ont appelé
au démantèlement des barrages (axe routiers, voies fluviales,
station pétrolières de pompage) et la fin provisoire du mouvement.
Provisoire car les différents porte-parole des organisations
amazoniennes ont bien précisé que le mouvement reprendrait si le
gouvernement ne tenait pas ses promesses.
Les décrets, pris par le
gouvernement et finalement abrogé par le parlement, n’étaient que la
traduction à l’intérieur du Pérou de divers accords de libre-échange
(TLC) avec les Etats-Unis. Mais rien n’est réglé. Ces accords
existent. D’autres accords sont en préparation avec l’Union
Européenne. Depuis deux ans en effet, dans la plus grande
discrétion, des pourparlers ont été engagés par les 27 pays
européens en vue de parvenir à un accord d’association (ADA) avec
quatre pays andins (Bolivie, Pérou, Équateur et Colombie).
Si la Bolivie, qui vient de
considérer l’eau, la santé et les produits du sous-sol comme non
aliénables a semble-t-il été exclue de la phase finale des
discussions, il n’en est pas de même pour la Colombie et le Pérou,
deux pays dirigés par des gouvernement ouvertement “néolibéraux”.
Mais cette lutte n’est pas
terminée.
Seuls 2 décrets-lois ont été
abrogés. Il en reste 7 autres, ce qui laisse encore au gouvernement
une petite marge de manœuvre.
Ensuite, les mesures répressives
et judiciaires se poursuivent. Les indiens arrêtés n’ont pas été
libérés et 18 d’entre eux, poursuivis pour meurtre de policier ont
été internés dans la prison de haute sécurité de Chachapoyas.
Enfin, la vérité sur les disparus
va devenir un autre enjeu.
Pour l’instant, les chiffres
officiels donnent toujours 34 victimes : 24 policiers et 10
manifestants.
Selon les témoignages, les
disparus seraient entre 40 et 60.
S’il semble évident que certains
disparus sont tout simplement en fuite, de peur d’être arrêtés, les
nombreux témoignages parlant de policiers embarquant des cadavres
dans leur véhicules sont de toute évidence à prendre en compte. De
multiples organisations demandent la mise en place d’une commission
indépendante d’investigation sur les faits de disparitions et pour
que toute la lumière soit faite sur les évènements.
Enfin, les luttes contre la
privatisation et le pillage des ressources naturelles ne se limitent
pas à la zone amazonienne. Beaucoup plus au sud, dans la province
andine de Andahuaylas (région de Apurímac), les habitants bloquent
une route importante et demandent une “obole volontaire” aux
voyageurs pour qu’ils puissent continuer leur voyage.
Ici, la protestation a démarré il
y a une semaine et les demandes sociales sont multiples : contre la
privatisation de l’eau, pour plus d’instituteurs et de professeurs
dans les écoles, et l’application des promesses présidentielles :
baisse des prix des engrais, fourniture de matériel agricole
(tracteurs), travaux d’assainissement, …. Et aussi la démission du
président pour la répression qu’il a ordonné à Bagua. Ils exigent
que le premier ministre vienne sur place les rencontrer pour qu’il
démontre bien qu’il veut le dialogue et en demandant qu’il vienne
avec de propositions concrètes et pas encore des promesses.
Décidément, l’oligarchie de Lima
n’en a pas fini avec les communautés amérindiennes qui années après
années ont pris conscience, non seulement de leurs droits (sociaux,
historiques, politiques…) mais aussi et surtout de leur capacité à
les faire respecter.
Cette bataille perdue par
l’oligarchie et gagnée par les populations en lutte n’est pas la fin
de la guerre.
Les décrets-lois abrogés,
partiellement ou pas, la logique capitaliste d’appropriation, de
pillage, de privatisation des biens communs se poursuivra tant que
le cadre politique général ne sera pas notablement modifié. D’un
autre côté cette victoire populaire, la victoire des communautés
indiennes, est évidente. Elle est surtout importante car elle donne
de la confiance, de la force pour continuer et sans doute pour
amplifier les mouvements de résistance dans cette région du Pérou,
dans l’ensemble du pays, et au-delà, dans ce continent où les voix
des populations originaires se font entendre avec toujours plus de
puissance, devenant déjà dans certaines zones, dans certains pays
(Equateur, Bolivie…) un ensemble de forces structurantes du nouveau
panorama social-politique.
Et même ici, dans nos vieux pays
de la vieille Europe, cette lutte victorieuse ne peut que donner
plus de force et d’énergie à tous ceux et celles qui savent que
c’est par la lutte, et uniquement par elle, par des rapports de
forces construits et opiniâtres qu’il est possible de faire reculer
la barbarie capitaliste et productiviste.
Le 19 juin 2009
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article583
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