Le
24 juin 2009 :
(13:00
Unità Naziunale,
www.unita-naziunale.org - Corse - Lutte internationale)
«Colonisation,
colon, colonisé colonialisme. » font partie du vocabulaire quotidien
( actif ou passif) de ces peuples, qui depuis des siècles sont ou
ont été sous domination française. Depuis la « décolonisation » de
l’ex Afrique française, la libération, des peuples de l’Ex
Indochine, de l’Algerie, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, la
Réunion, sont objectivement les dernières colonies d e l’empire
français . L’universitaire créoliste Jean Bernabé, explique ici la
sémiotique » de ces termes. C’est l’édito du jour de
Caribcreole !
L’étymologie du mot
« colonie » est en rapport avec le verbe latin « colere »
(français : « cultiver »), terme impliquant des
pratiques qui sont culturales, avant d’être culturelles. Il
convient d’indiquer que le sens premier du mot « colonie »
comporte deux traits fondamentaux et un trait secondaire. Les
premiers supposent respectivement la notion d’espace
et celle de disjonction. Espace, parce que
toute démarche culturale implique un territoire à cultiver.
Disjonction, puisque, par définition, le territoire en question
n’est pas celui du colon. Le trait secondaire est constitué par
le degré de liberté, ou si l’on préfère, de choix qui préside à
l’entreprise coloniale. Dès lors, cette dernière est assimilable
à une structure de type narratif dont le colon est un des
protagonistes. Nous voici lancés dans une démarche sémiotique,
c’est-à-dire visant à révéler le sens profond, souvent caché,
des phénomènes. La structure narrative en question peut être
dynamique, débouchant sur la révélation d’une prise de
possession de l’espace, c’est-à-dire d’une mise en conjonction
du colon avec l’objet (le territoire), en d’autres termes, d’un
processus d’appropriation. Mais il peut aussi
être statique, une sorte de répétition indéfinie, coupée de tout
accès à la possession de l’objet. Dans le premier cas, on a
affaire au processus de colonisation et dans le
second, à la situation de colonat. Le système
agraire du colonat concerne, on le sait, un paysan qui cultive
une terre ne lui appartenant pas et dont il n’est pas censé
devenir propriétaire. En termes sémiotiques, il est en
disjonction avec l’objet. Cet en ensemble de distinctions
terminologiques me semble du plus grand intérêt.
Le colon dont l’action participe au lancement et/ou au
développement de la colonie, a pour origine une métropole. La
métropole se définit donc comme le lieu de
départ de toute colonie. En ce sens, on peut considérer que
toute expansion spatiale d’un groupe humain relève du phénomène
de colonisation. Du coup, on doit admettre aussi que la
colonisation est le mode à travers lequel les groupes humains se
sont répandus et continuent à se répandre sur la planète. C’est
dire que la colonisation n’est pas en soi marquée du sceau de
l’ignominie, du colonialisme, c’est-à-dire
renvoyant à une violation des droits de l’Homme. Il existerait
donc une colonisation condamnable et une colonisation non
condamnable. La première tiendrait à ce que l’appropriation se
réalise au prix d’une expropriation d’autrui, et la seconde à
une installation sans expropriation dans un
endroit déjà habité ou encore à l’appropriation d’un espace
vierge de toute occupation antérieure. Ainsi, la colonisation
des îles des Mascareignes, constitue une illustration, plutôt
rare dans l’histoire de l’humanité, de ce type de colonisation.
Elle est en cela différente de la colonisation des Antilles,
dont la population d’origine a été en grande partie décimée puis
chassée, après qu’elle-même a fait œuvre de colonisation (on
pense aux Caraïbes venus du continent et ayant assujetti les
Arawacks).
Si le type de colonisation sans colonialisme ne présente en soi
rien de négatif, en revanche, contrairement à certaines thèses
négationnistes, on ne voit pas ce que la colonisation assortie
de colonialisme peut avoir de positif. Cela ne signifie pas pour
autant que la colonisation des Mascareignes par les Français
soit vierge de toute trace de colonialisme. En effet, les colons
de cet espace, par le recours à la traite négrière, se sont
approprié la force de travail d’Africains réduits en esclavage
pour faire fructifier le territoire. Donc, si la genèse de cette
colonisation ne relève d’aucune expropriation, son développement
l’inscrit dans une logique colonialiste. Il en eût été de même
si, en lieu et place d’Africains, des français avaient été
réduits en esclavage dans le même but économique. C’est, bien
évidemment, le caractère largement majoritaire du processus
d’expropriation-exploitation – mais pouvait-il en être
autrement ? – qui a affecté d’une tache indélébile la plupart
des entreprises coloniales historiques.
Ici se repose la question du caractère volontaire ou non du
projet colonial, en l’occurrence sous les espèces de l’émigration.
En termes d’analyse sémiotique, il est admis que ceux qui se
lancent dans une quête sont toujours des sujets affectés d’un
manque, sans lequel ils ne se lanceraient pas dans ladite quête.
Ils peuvent agir avec un degré relativement élevé de liberté,
auquel cas leur entreprise s’apparente à une geste épique, car
ils sont les acteurs plus ou moins conscients et volontaires de
l’action (autrement dit, du « faire »). Mais
ils peuvent être privés de toute capacité de choix ou disposer
d’une capacité des plus réduites en la matière, auquel cas leur
parcours peut confiner, au contraire, à la tragédie. Ils ne sont
pas les acteurs d’un « faire » mais les victimes d’une
« faire-faire ». On les « fait émigrer »,
c’est-à-dire qu’ils sont manipulés. La cause s’en trouve dans
les pays qui les colonisent et dans les politiques de leurs
propres dirigeants, complices volontaires ou non de cette
expansion. Ainsi, dans le processus de la colonisation
européenne des Amériques, il y a des degrés divers de liberté :
au degré zéro, nous avons l’esclave, symbole par excellence de
l’homme contraint, puis l’engagé (ou « trente-six mois »),
de condition libre et qui, au bout de son contrat, peut à son
tour devenir colon avec appropriation d’un espace dans la
colonie ; puis toutes les prostituées et autres repris de
justice expédiés aux Amériques (Bon débarras et occasion de
peupler la nouvelle extension de la métropole !).
Les esclaves d’origine africaine sont, en réalité, des «
colons passifs » inscrits par l’Histoire dans
une créolité qui sanctionne un processus d’«
indigénisation ». Le monde créole a éliminé les
Amérindiens. Même si la composante africaine n’a aucune part à
cette élimination, au plan symbolique, elle a partie liée avec
cette entreprise menée par le colon européen. D’ailleurs, fait
particulièrement intéressant, dans aucun pays où les Amérindiens
ont survécu, ces derniers ne sont qualifiés de Créoles. Cela
suggère bien le clivage qui, sépare au plan de l’approche
sémio-anthropologique, les « habitants premiers » ou
autochtones (du moins, qualifiés de tels à
travers le prisme d’une certaine approche idéologique) et les « nouveaux
arrivants ». De colon passif et virtuel qu’il est,
l’esclave ambitionne, de façon fanstasmatique, de devenir colon
actif et réel. Son modèle n’étant autre que le maître (le colon
européen), la voie se trouve dès lors ouverte au mimétisme et à
l’assimilationnisme, c’est-à-dire à deux phénomènes majeurs, qui
constituent la matrice socioculturelle des Antilles : le rejet
de l’Afrique et le reniement du créole. Il en va de même pour
toutes les immigrations (Indiens, Chinois, Syro-Libanais). Ces
deux phénomènes comportent en eux-mêmes leurs antidotes, qui,
dans une optique contestataire, émergeront au XXième siècle, à
savoir les mouvements successifs de la Négritude
et de la Créolité. Comme quoi, la
décolonisation des esprits ne concerne pas les seuls Békés. Il
aurait été souhaitable que chacun d’entre nous se livre à ce
travail avant d’engager la lutte contre les pratiques
colonialistes de l’instance métropolitaine. En l’occurrence, il
s’agit malheureusement d’un vœu pieux, car le rythme de
l’Histoire ne s’accorde pas forcément à celui des individus.
L’espace de la colonisation n’est pas seulement physique. Il
peut aussi être mental, symbolique. La science, la littérature,
la technologie ne se développeraient pas s’il n’y avait pas des
sujets se lançant dans la quête de territoires nouveaux. Des
théories nouvelles dépassent et invalident des précédentes. Il y
a dans ce cas non pas, à proprement parler, expropriation, mais
désappropriation. La vision du monde la plus
ancienne est considérée comme moins propre, voire impropre à
expliquer ou transformer le réel. Dans ces domaines, le seul
moyen d’exproprier (une expropriation largement symbolique)
consiste à plagier. L’espionnage technologique et la contrefaçon
ressortissent, on le sait, à une intention de plagiat.
Ce sont donc là autant de modalités de colonisation de nature
colonialiste. Cela dit, en littérature (où la notion de
dépassement n’est pas opératoire), on peut toujours, avec une
certaine habileté, éviter l’imputation de plagiat en alléguant
la pratique de l’intertextualité.
La colonisation est, on le voit, un phénomène en pleine activité
qui se déploie tous azimuts dans les dimensions doubles et
opposées du réel et du virtuel, du concret et de l’abstrait.
Quand Lénine déclare que l’« impérialisme est le stade
suprême du capitalisme », il ne signifie rien d’autre. En
effet, un pays impérialiste peut n’avoir développé aucune
colonisation territoriale.
S’agissant des espaces non habités de l’Univers, dont l’Homme
est appelé à entreprendre la conquête, on pourrait penser que
leur caractère vierge d’habitants est de nature à dégager leur
colonisation de toute caractère colonialiste. Rien ne serait
plus faux. En effet, si un pays s’octroyait une exclusivité sur
des territoires extra-terrestres, au motif que sa technologie
lui aurait permis de se les approprier, en réalité, il en
dépossèderait les autres pays. On aurait affaire là à une
expropriation virtuelle, qui ne serait pas
moins répréhensible au regard des droits humains qu’une
expropriation réalisée sur la planète Terre. Le fait
colonialiste serait donc avéré. De même, si le Brésil détruisait
la forêt amazonienne au motif que celle-ci se situe sur son
territoire, il priverait le monde entier d’une grande quantité
de l’oxygène nécessaire à sa survie. Le fait colonialiste serait
encore avéré. En effet, même si ce comportement n’implique pas
de déplacement physique hors du Brésil, il s’en produit un de
nature symbolique et métaphorique. Si enfin, la Russie décidait
d’accentuer la pollution de la planète avec des gaz à effet de
serre afin d’augmenter la température terrestre et, par là même,
rendre cultivables des terres aujourd’hui glaciaires, leur
comportement aboutirait à la conquête d’un « territoire
nouveau à cultiver » assortie d’une sorte d’expropriation-détérioration
écologique de la sécurité de l’ensemble des humains, soumis de
façon plus menaçante aux dangers que l’on devine.
Ces réflexions nous ouvrent à la nécessité de (re)définir en les
revisitant les deux types fondamentaux de colonies : les
colonies de peuplement, qui supposent une métropole explicite et
les colonies de comptoir, dont l’instance métropolitaine est
théoriquement flottante puisqu’elle dépend des lois et des aléas
du marché. Cela dit, certaines colonies peuvent constituer un
mixte de ces deux catégories. Pour illustrer cet ensemble de
remarques, il suffit d’évoquer la percée de la Chine en Afrique.
Dans ce dernier continent, l’« Empire du Milieu »,
nouveau style déploie une politique économique combinant, en
l’occurrence, les deux types de colonie, puisqu’il y achète des
pans entiers de territoires (même s’il ne les peuple pas
aujourd’hui, cela n’en constitue pas moins un peuplement
virtuel) et que dans le même temps, il y pratique une politique
de comptoir. Dans les deux cas, on a affaire à une
expropriation-exploitation des Africains. Le
capitalisme d’Etat chinois trouve son stade sinon suprême, du
moins le plus achevé dans une pratique impérialiste affectant de
manière particulièrement visible le continent le plus privé de
défense, mais de manière moins ostensible une portion de plus en
plus grande du monde, les Etats-Unis compris. Ce n’est pas le
moindre des paradoxes de l’histoire.
Il me semble d’une importance capitale de bien comprendre les
mécanismes sémiotiques qui président aux mouvements des
populations sur terre et aux actes (autrement dit, aux « faire »
qui les accompagnent) et ce, afin de bien situer les enjeux non
seulement du fait colonial, mais aussi, de la démarche qui s’y
oppose, à savoir la décolonisation. La
décolonisation est une impérieuse nécessité tout autant que le
« colonialisme-impérialisme » constitue une tunique de
Nessus collant irrémédiablement, à la peau des humains. Du moins
jusqu’à nouvel ordre mondial, à l’émergence duquel il convient
de contribuer par tous les moyens que peuvent nous valoir les
nouveaux territoires de la pensée et de l’action colonisés,
notamment ceux par la pensée altermondialiste.
*Professeur de linguistique à L’ UAG, Jean Bernabé est
L’’inventeur de la graphie créole du GEREC , l’ auteur
d’ouvrages fondamentaux sur l’étude de la langue créole
(sources Montray Kréyol)
Source photo :
caribcreole1, Unità Naziunale, Archives du site.
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